Disparition d'un être lumineux

Stéphane Hessel vient de s'éteindre dans sa 95ème année, l'esprit toujours aussi pétillant pour un corps irrémédiablement usé.

Son dernier ouvrage, paru il y a deux ans "Indignez-vous!", 22 pages, vendu à des millions d'exemplaires, révèle l'humaniste intègre pour lequel "L'indifférence est la pire des attitudes" ce qui n'autorise cependant pas à se croire autorisé à "juger", démarche aussi orgueilleuse que réductive.

Le testament de cette personnalité exceptionnelle habitée jusqu'au bout par la joie de vivre, probablement pour avoir su surmonter des difficultés gravissimes, se trouve résumée dans la dernière phrase du livre :

Ce soir sur France Inter, Marc Olivier Fogiel avait invité quelques éminentes personnalités à donner leur avis sur la réaction du Crif à la "canonisation" de Stéphane Hessel.

Pour le Crif, Stéphane Hessel serait plutôt "Un maître à ne pas penser".

Effectivement, les deux pages que consacre Stéphane Hessel à la bande de Gaza, bien que très mesurées, ne peuvent pas plaire au Crif, politique oblige.

Quant aux "people" (chacun sait bien qu'actuellement les personnalités les plus en vogue ne sont que des "people" à l'existence éphémère) qui n'ont pas raté l'occasion de se faire mousser en venant prendre parti pour le Crif, ils n'avaient manifestement pas lu le petit livre, trop petit, pas assez cher pour des vedettes de cette envergure!

Dans la matinée, les radios avaient annoncé que c'était un livre de 14 pages (l'information est ce qu'elle est!). Alors, pour appuyer leur argumentation vasouillarde, chacune de ces vedettes revenait sur les 14 pages du livre sans jamais être contredite, et pour cause...

Quant à savoir que la bande de Gaza n'est traitée que sur deux pages, faut pas pousser, on leur a soumis un sujet, ils développent, c'est même la seule chose qu'ils savent faire, développer, surtout du vent...

Moi, j'ai vérifié, c'est 22 pages + les notes.

Boff! Dans notre société, parler d'un livre que l'on n'a pas lu, c'est monnaie courante, vraiment pas de quoi s'indigner

De nombreuses réactions à l'attitude du Crif.

(Naturellement pas sur ce forum, où les intervenants comme les visiteurs comptent sur moi pour amuser la galerie)

J'ai sélectionné celle-là, qui me plait bien :

"M. Prasquier (Président du Crif) a parfaitement raison. S. Hessel n'est pas un maître à
penser, son effet ne se situe pas au niveau de l'intellect mais des
"tripes". L'indignation n'est pas un raisonnement, c'est un sentiment.
Et dans notre monde qui n'obéit qu'aux chiffres et qu'au droit, un peu
de "tripes", ça fait du bien. Quant à le déconstruire, cela revient à
déconstruire l'humanisme,..."Vaste programme !" aurait dit le Général.
Car Hessel n'est qu'un relais qui fait progresser l'humanité sur des
siècles."

Intéressant, mais pas vraiment d'accord.
Le plus dur est de faire concorder le sentiment avec le raisonnement...
Si Hessel y parvient c'est aussi parce qu'il parvient à expliquer une violence qu'il réprouve.
Ce n'est en aucun cas un juge...

4 millions d'exemplaires du petit livre vendus dans le monde, le fait est que ce n'est pas du goût de ceux qui se considèrent comme des personnalités de premier plan obligées de se pavaner au risque de commettre les platitudes qu'ils reprochent à Hessel.

Qu'Hessel ne soit pas Malraux, on avait remarqué sans leur aide.

Qu'il n'ait pas cherché à capter la lumière, c'est souhaitable pour un résistant comme pour un diplomate d'autant qu'il s'est révélé efficace dans les deux emplois sans éprouver le besoin d'en faire étalage.

Que l'opuscule de ce modeste se soit commué en phénomène commercial, là, c'est dur à avaler pour ceux qui n'y parviennent jamais en dépit de tous leurs efforts.

Nous inviter à réfléchir en termes simples, en voilà une idée subversive, quand il est si facile d'anesthésier le peuple à l'aide du foot ou du pape...

Jeudi 28 février dernier était rediffusé sur France 5 un documentaire de 2010, consacré à Stéphane Hessel, intitulé "Sisyphe Heureux" titre oh combien évocateur.

En annexe figuraient les réactions unanimement élogieuses de la presse internationale.

Comme quoi l'adage "Nul n'est prophète en son pays" a ses raisons d'être.

Les anglais ont même souligné "l'élégance" du personnage, un terme qu'ils avouent n'employer qu'exceptionnellement pour un français.

On peut se demander effectivement si, en France, le Bling-Bling ne s'est pas substitué à l'élégance...